Le Marchand d’éponges de Fred Vargas & Edmond Baudouin

« Un meurtre vient troubler le quotidien de Pi, clochard et vendeur d’éponges à ses heures. Interrogé comme témoin, il fait la connaissance d’Adamsberg, un commissaire aux méthodes déroutantes. La vérité sur l’affaire se dévoile peu à peu, en même temps que se dessine le portrait d’un homme brisé par la vie. » Voilà ce que nous dit la quatrième de couverture.

Petit format version Librio, Le Marchand d’éponges est le fruit de l’adaptation d’une nouvelle de Fred Vargas (que vous connaissez de nom ou pour en avoir déjà lu) par l’illustrateur Edmond Baudouin. Il suffit d’ouvrir le roman graphique pour se retrouver propulsé dans l’atmosphère parisienne. La rue parisienne. Gigantesque. Sombre. Solitaire. Surprenante. Inquiétante. La rue, c’est où vivent Pi et son caddie Martin. Pi, c’est un vendeur d’éponges. 1 euros l’éponge. Il en 9 732. Le calcul est rapide. Mais ce soir, à vingt-trois heures, il sait qu’il ne vendra plus une seule éponge. C’est ainsi que commence l’histoire de notre héros moderne. Si le roman graphique traite de la rue et d’un de ses habitants, nous ne sombrons pas dans le triste, la misère, la compassion issue de la bienséance. Pi, c’est un vendeur d’éponges et non un arnaqueur. Il fait ses journées de boulot comme tout le monde tout en ayant conscience de sa condition. Un homme brisé par la vie qui est parvenu à se trouver un but, une raison pour se lever chaque jour. A chaque éponge vendu, il obtient un euro, un regard peut-être et un contact humain … car c’est ce qu’il lui manque le plus : n’être qu’un tas de fringues posé dans la rue … Il souhaiterait exister aux yeux des autres. Juste un instant.

Et puis, il y a ce meurtre dont il est le seul témoin. Car, après tout, qui prête attention au tas de fringues posé dans la rue ? Si personne ne le regarde, lui il a tout vu. Et le commissaire Adamsberg attend bien de tout savoir pour résoudre cette affaire. Le commissaire et Pi se rencontrent et quelque chose se passe. On le sent à la lecture ou en posant notre regard sur les dessins. Quelque chose s’est passé entre ses deux hommes profondément humains. Et, c’est ce qui va nous intéresser : leur interaction et non l’affaire policière qui peut être bouclée en deux bulles.

 

Edmond Baudouin et ses illustrations servent à merveille la plume de Fred Vargas et nous dévoile un Paris réaliste où l’on peut mourir sur un trottoir face à l’indifférence la plus totale … où l’on peut rencontrer l’incroyable au coin d’une rue … où il y a encore un peu d’humanité. Bref, un roman graphique qui ne laisse pas indifférent.

Les témoins de la mariée de Didier van Cauwelaert

En lisant la quatrième de couverture, je me disais que ce roman pouvait correspondre à mes envies-besoins de ne pas réfléchir, de lire quelque chose sans vraiment mettre mes neurones en marche. Bref, un livre simple semblable au téléfilm de M6 que je suivais parfois avec ma mère … et ouais, la loose mais pas grave. En quelques mots, c’est l’histoire d’une bande d’amis qui se réunissent autour de Marc, le photographe qui collectionne les femmes et les voitures – souvent les choses vont par paire. Il a une bonne nouvelle à leur annoncer : il va se marier avec une chinoise de 19 ans qu’il vient rencontrer et qu’il aime. Pas de bol : il se tue dans un accident de voiture … mais la petite chinoise débarque sans être au courant de ce fameux accident. Comment faire maintenant et surtout qu’est-ce qu’il faut faire maintenant ?

Avec une histoire comme celle-ci, je dois avouer que je m’attendais à une myriade de rebondissements, à des haussements de sourcil, des sursauts et des ‘bien joué mec’ mais tout retombe un peu à plat. Roman polyphonique, l’auteur laisse ses personnages raconter leur version de l’histoire, leurs anecdotes. Nous découvrons ainsi la vérité à travers le regard de plusieurs personnages. Intéressant. Aspect tragi-comique ; nous oscillons entre le drame amoureux et la comédie des amis qui essaient de ne pas révéler la vérité à cette dynamique chinoise. L’intérêt du lecteur calque celui des personnages : qui est cette Yun-Xiang ? Manipulatrice ? Croqueuse de diamants ? Candide paysanne perdue à Paris ? Cherche-t-elle à les diviser ou à les réunir autour de sa présence ? Il n’y a pas plus de questions et ces dernières ressemblent beaucoup à celles que l’on peut se poser quand on regarde un téléfilm un dimanche après-midi.

Je n’ai pas été franchement convaincue par l’histoire tout comme par le style de Didier Van Cauwelaert. Décue de ne pas voir l’histoire prendre son envol, je reste sur ma faim. Néanmoins, il constitue un bon roman de gare.

Yves Saint Laurent – Jalil Lespert

Oh mais dis donc, cela fait longtemps que nous n’avons pas parlé de cinéma tous ensemble. Et, il se trouve que je suis allée voir Yves Saint Laurent au cinéma. Il vient uniquement de passer en version originale – donc heureusement en version originale pour moi – dans le petit cinéma européen à côté de chez moi. J’ai évidemment sauté sur l’occasion.

Comme son nom l’indique, Yves Saint Laurent est un Biopic. Hourra ! J’adore aimer et détester les Biopic et ce sûrement parce que je considère que c’est un choix très dangereux. En effet, vous redonnez certes vies à des figures historiques, artistes ou célébrités en tout genre mais vous vous offrez à bras ouverts aux critiques les plus farouches. Il y a toujours celui ou celle qui pense mieux connaître le héros et qui juge le Biopic infidèle à une réalité que, lui, en tant que « vrai fan » connaîtrait bien mieux. N’est-ce pas ? Nous connaissons tous ce pote qui après avoir vu un Biopic jure que c’est une bouse sans nom qui ne rend pas hommage à la personnalité concernée. Qu’est-ce qu’ils m’énervent ces potes-là ! Réaliser un Biopic, c’est accepter la possibilité de s’en prendre plein la tronche … mais également de caresser la possibilité de se faire acclamer. Qu’en est-il donc du Yves Saint Laurent de Jalil Lespert ?

Déjà, il me semble important de préciser que Pierre Bergé – compagnon d’Yves Saint Laurent – a adoubé ce projet et y prête également sa voix en tant que narrateur, ce qui donne une valeur d’autant plus réaliste aux événements qui se dérouleront sous les yeux du spectateur mouvementé. Mouvementé ? Oh que oui ! Ne connaissant d’Yves Saint Laurent que certaines de ses créations, quelle fut ma surprise en découvrant un créateur génialissime profondément malade et caractériel. Un homme possédant une large part d’ombre. Un homme, tout simplement, me direz-vous car après tout, qui n’en possède pas une ? Nous découvrons le créateur à travers sa relation avec Pierre Bergé : une relation soumise à bien des tumultes. Le scénario de Jalil Lespert – coécrit avec Marie Pierre Huster et Jacques Fieschi – repose donc sur cette magnifique histoire d’amour qui unit les deux hommes. Complexe, entière, torturée, cette histoire d’amour s’anime entre instants charmants, moments de grâce et scènes violentes. Avec ce couple, nous plongeons dans le monde de la mode : ses abus, ses coulisses, ses défilés, son public, ses scandales et ses moments de joie. La caméra de Jalil Lespert offre au spectateur une magnifique reconstitution de cette époque. Nous finissons par y croire à toutes ces créations qui se dandinent sous nos yeux.

Mais enfin, ce qui pour moi est la clef du film, ce n’est ni le réalisme, ni la beauté de la réalisation, ni le scénario reposant sur l’histoire d’amour … non la clef se tient dans les acteurs. Quels acteurs ! Il fallait bien cela pour incarner des personnes aussi hautes en couleur. Charlotte Lebon. Laura Smet. Guillaume Gallienne, convaincant en un Pierre Bergé dur et cassant. Pierre Niney … l’homme du film à mes yeux. Un travail titanesque sur la gestuelle, le verbe, le phrasé, le regard. Quel talent ! Quel travail ! Pierre Ninney devient Yves Saint Laurent.

Et vous, est-ce que vous l’avez vu ? Entendu parler ? Dites-moi que vous êtes allés le voir parce que sinon … je vous pousse à coups de pieds aux fesses pour en sortir bluffés.

 

 

 

Tout, tout de suite de Morgan Sportès

Petit bijou trouvé au rayon français de ma bibliothèque, je ne savais pas encore que je venais de choisir un livre aussi passionnant.
L’auteur, Morgan Sportès, reconstitue au travers de ce roman la genèse et l’histoire de ceux qui ont été affublé du surnom de « Gang des Barbares ». Souvenez-vous en 2006 cette histoire de kidnapping qui avait défrayé la chronique sous fond de violence, barbarie et d’antisémitisme.

Tout, tout de suite n’est pas un roman de grande littérature et usant de grandes phrases Proustiennes et de longues envolées lyriques. L’auteur s’est emparé d’un style précis, clinique, vraisemblable (certains critiques diront que le jeu du langage argotique de banlieue est trop artificiel … il ne m’a pas gêné mais lui a donné au contraire une valeur polyphonique) pour faire ressortir des vérités, essayant d’élaborer un semblant d’explication sur ce qu’a été le gang des Barbares. Les choses sont en effet rapidement remises dans leur contexte lorsque l’auteur nous rappelle que les criminels que les médias ont qualifiés de barbares en jouant sur le sensationnalisme sont avant des hommes comme les autres, des « loosers ». Etudes parfois ratés. Petits boulots à la chaîne. Avenir imprécis. Vies passées dans les tours et les banlieues parisiennes. Cette horde d’hommes comme les autres pour ne pas dire banals est menée par Yacef. Drôle de chef de bande qui rate presque tous ces coups. Charismatique, manipulateur, violent, instable, pauvre intellectuellement, c’est lui qui les rassemble et les façonne en gang. Et c’est avec ce gang qu’il se décide á kidnapper un Juif pour demander une rançon : car, pour lui, c’est une certitude : les juifs sont tous riches et s’ils ne le sont pas, ils sont une communauté solidaire. Sa vérité le conduira à kidnapper Elie.

C’est cette vérité d’un antisémitisme banal, ordinaire et malheureusement répandue au sein d’une jeunesse désœuvrée qui servira de justification. Ils n’avaient pas encore frappé de Juifs, ils n’avaient pas brûlé de synagogue. Non, avant tout cela, ce n’était que préjugés. Rien de bien méchant, pas vrai ? Mais, il s’agit pourtant d’antisémitisme … un crime. Quant à la violence, elle est partout présente dans ce roman. Psychologique, physique. Menaces. Passage à tabac. Elle fait partie du paysage des tours de banlieue. Faites de la prison et vous serez un grand. Battez-vous et faites-vous respecter. Ont-ils conscience de la réalité ? Nul ne le sait mais il n’a fallu qu’un petit coup de pouce du destin pour les faire gravir les échelons de la violence pour sombrer dans la barbarie. A couper le souffle.

Le roman se veut polyphonique. Nous passons par les souffrances d’Elie, par les paroles des geôliers et leur revendication d’humanité (le passage du Macdo m’a tout simplement bluffé) pour aboutir à l’apogée de la violence. Par les gestes. Par le silence. Ces personnes normales, ordinaires, banales sont devenues des Démons, des monstres. Comment en sont-elles arrivées là ? Tout cela a semblé si facile ? Nous avons suivi leur ascension dans l’échelle de la violence pour finalement en arriver là. Choqué.

Ce roman ne se veut pas moralisateur. L’auteur nous laisse tout simplement là, à la fin de celui-ci. Il nous abandonne et nous laisse avec cette vérité qui fait mal, qui fait peur, qui révolte. Un bijou moderne.